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« Ben Laden, c’est mon père »

Mehdi et Badroudine ont laissé traîner leurs oreilles à la sortie d'un lycée à La Courneuve. A la fois calife, modèle et saoudien fortuné, Ben Laden n'a pas fini de faire parler de lui.

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Le bus 249 est bondé. On se pousse. Le chauffeur demande d’avancer vers le fond. On descend près du lycée Jacques Brel à La Courneuve (93). Il est midi, l’heure d’aller se rassasier. Les lycéens filent fissa à la maison. On interpelle un groupe de filles. On lâche le nom de Ben Laden. « C’est pas un calife du Pakistan ? » sourit sérieusement une des quatre. Les autres la contredisent, se moquent. La troisième balance : « En tout cas, c’est pas un terroriste. Il voulait seulement faire du bien pour son peuple musulman. »

Ben Laden, cet homme qui à cette heure-là coule dans les fonds marins. L’homme qui, un jour où il ne s’y attendait pas, a vu les forces américaines lui glisser une balle dans le crâne. Ben Laden, ennemi public numéro un, exterminé avant-hier. Abiola, un gamin du coin, énumère : « C’est un Saoudien fortuné, terroriste et appartenant à Al-Qaida. » Il semble calé.

Les clopes se grillent devant la grille du lycée. Au loin, on entend des écoliers de l’école primaire qui s’amusent dans la cour, bien loin de tout ça. Deux garçons crânent, assis sur un petit muret. « Je ne croyais pas au World Trade Center, je ne croirai pas en la mort de Ben Laden. » Concis. Un élève de première littéraire sort. On l’attrape au vol. Il s’amuse : « Ben Laden, c’est mon père. » On le croit à peine. Il reprend ses esprits, se concentre et précise : « C’est un modèle. Il a échappé pendant dix ans aux Américains. »

Le mec ne lâche pas le morceau, s’enlise, conclut : « Le 11-Septembre, il n’a pas fait ça pour rien. Il avait de bonnes raisons. » Sur ce, l’oiseau prend son envol. On retourne sur le petit muret. Les mecs ont déjà oublié Ben Laden. « Et au fait, vous baisez souvent avec des meufs ? » Deux filles et un garçon s’approchent, ils sont plus sérieux. « Si Ben Laden a tué des Américains, c’est pour se venger. Parce que, eux, ils ont tué pleins d’Arabes. »

Les mots sont crus, à engloutir jusqu’à l’indigestion. Une des filles, élève en terminal scientifique, ajoute : « Obama en avait besoin, de la mort de Ben Laden. » En coeur, elle et sa copine disent qu’elles « n’aiment pas les Etats-Unis », mais qu’un jour, elles iraient bien voir « le Grand Cayon ». Avant de déguerpir, un lycéen s’offusque de savoir Ben Laden au fond des mers : «Vous pensez que les Américains auraient aimé qu’on balance Obama dans la mer ? »

Le soleil ne s’est pas calmé, il chauffe. Les corps et les esprits brûlent timidement. Un gars qui rôde : « C’est un moudjahidin, Ben Laden ! Et sérieux, respect, il a su se cacher pendant dix ans, malgré les technologies, malgré la force des Américains. » Il répète : « Respect ! » Et il s’aventure dans une comparaison crapuleuse : « Pas sûr qu’à notre époque Mesrine aurait réussi à se cacher si longtemps. Lui, il l’a fait. » Tuer, se cacher, crever… Un jour ou l’autre. Le triste sort d’un terroriste.

Mehdi Meklat et Badroudine Said Abdallah pour le Bondy Blog